Il y a 31 ans, en mars 1991 : Rostropovitch jouait dans la basilique de Vézelay…

 

 

Si je vous dis Mstislav Rostropovitch, qu’est-ce que ce nom vous évoque ? Pour moi, c’est une page de mon vieux manuel d’histoire du lycée, un chapitre consacré aux dernières années de l’URSS, une photo de novembre 1989 devant le mur de Berlin. Et bien sûr, du haut de mes 35 ans de culture générale, je sais que Rostro, c’est LE virtuose du violoncelle et chef d’orchestre indissociable de l’histoire et de la musique du second XXe siècle.

 

 

 

 

 

A Vézelay

C’est seulement en décembre dernier, en évoquant avec le libraire du village des anecdotes peu connues à propos de notre chère basilique, que j’apprends que Rostropovitch est venu à Vézelay en 1991 pour enregistrer les Suites pour violoncelle seul de Bach. Impressionnant, mais pas si surprenant : la Colline Eternelle a attiré bon nombre d’écrivains, intellectuels et artistes. Pensons à Clavel, Bataille ou encore le compositeur Inghelbrecht qui y a vécu de 1936 à 1965. Et aujourd’hui, les nombreux concerts de la Cité de la Voix et les Rencontres musicales annuelles fin août confirment Vézelay en tant que petite capitale de la musique.

Le chef Marc Meneau, ami de Rostropovitch, racontait comment le violoncelliste, d’abord venu rencontrer un luthier dans la région, était tombé fou amoureux de la basilique Sainte-Marie-Madeleine et avait décrété que c’était "LÀ" qu’il enregistrerait ses Suites de Bach. Des radiateurs tout autour de lui, pour réchauffer mains et instrument dans la fraîcheur des nuits de mars. Un peu plus loin, des Vézeliens respectueux et fascinés, venus assister à cet exceptionnel spectacle.

Mais je parle bien trop : écoutez plutôt, regardez et admirez…

https://www.youtube.com/watch?v=Ml14kGHCBg0 

 

Outre la maestria de Rostro et l’élégance des arpèges, appréciez la justesse du choix du lieu : pour jouer la première Suite et ici son Prélude, le musicien s’est installé dans le narthex de la basilique, l’espace d’accueil des fidèles. On est introduit à cet ensemble de Suites comme le pèlerin l’est à son chemin vers la Lumière dans le sanctuaire.

 

 

Dans le narthex

Sur certains plans tournés dans le narthex, la caméra s’attarde sur le décor sculpté de la basilique ; dans la frise du linteau, au son du violoncelle, le cortège des Peuples de la Terre s’anime, avec ses chasseurs à l’arc, ses Géants, ses Pygmées. Dominant cette assemblée de pierre, aux premières loges, le Christ en Gloire semble veiller sur le musicien et profiter de ce concert privé. Dans le narthex, la nef ou le chœur, architecture, sculpture et musique se répondent, comme unies par le Sacré.

 

 

 

 

 

« il avait déjà dit (…) qu’il n’aurait pas pu jouer Bach (…) dans une église russe, trop ornée » (Jules Roy)

L’écrivain Jules Roy fut l’un des habitants témoins des enregistrements de mars 1991 : il en a tiré son Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu dans lequel il confronte les deux artistes ayant séjourné sur la Colline Eternelle. Le croyant et l’impie ; leur rapport à la basilique, à la foi, à Dieu. Très pieux lui-même, le jugement de Jules Roy est implacable :

« Rostropovitch ou la louange d’amour. Gainsbourg ou le poète qui se sentait indigne. Celui qui était sûr de croire et celui qui n’osait même pas entrer dans le narthex, là où les pécheurs peuvent se dépouiller de leur misère, celui qui jouait du violoncelle devant Dieu et celui qui regrettait de n’avoir pas assez forniqué. »

 

 

De 1989 à 1991...

En y réfléchissant un peu, je trouve touchant le sens que l’on peut donner au passage de Mstislav Rostropovitch à Vézelay, deux ans après son plus célèbre « concert » au pied du mur de Berlin où il avait déjà joué des Suites de Bach. Taxez-moi de surinterprétation si vous le voulez, mais jouer et enregistrer les compositions les plus incontournables du violoncelle sur la Colline Eternelle, dans cet écrin qu’est le sanctuaire de la basilique, apparaît comme un symbole d’apaisement et de sérénité.

Rostro était né à Bakou en 1927, mais défenseur de la liberté et de la démocratie, critique à l’égard du système soviétique, il avait été déchu de sa citoyenneté en 1978 et s’était alors installé à Paris. Dans une interview en 1997, c’est ainsi qu’il décrivait ce que le « mur de la honte » représentait pour lui avant son effondrement :

« cet endroit qui m’a préoccupé et dérangé toute ma vie, un peu comme une plaie sur mon cœur »

Une fois le mur tombé, voilà que ses deux moitiés de cœur, la russe et l’apatride, se réconciliaient. En 1990, Rostro était réhabilité par Gorbatchev. Puis à Vézelay l’année suivante, il jouait l’intégralité des Suites de Bach. En décembre 1991, l’URSS cessait officiellement d’exister.

 

A la mémoire d'Agnès.

Mélanie Logre, conseillère en séjour à l'Office de tourisme du Grand Vézelay.

 

 

​​Quelques sources...

  • La vidéo complète des Suites de Bach enregistrées dans la basilique en 1991

https://youtu.be/83wY_IegKqU

  • Article de l’Yonne Républicaine, « 20 ans après l’enregistrement des Suites de Bach, Vézelay rend hommage à Rostropovitch » (interview de Marc Meneau en 2011)

https://www.lyonne.fr/saint-pere-89450/actualites/vingt-ans-apres-l-enregistrement-des-suites-de-bach-vezelay-rend-hommage-a-rostropovitch_1111293/

  • Vidéo de France Musique, « Rostropovitch devant le mur de Berlin, les dessous d'une image iconique »

https://youtu.be/TEx7Pu-Ok5E

  • Jules Roy, Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu, Albin Michel, 1991
  • Merci à Lorant Hecquet pour ses photos et ses souvenirs